Avant la date fatidique de l’Action de Grâce où le pays entier se cloître en redoutant l’approche de l’hiver (le 9 octobre en cette année 2023), nous voulions allez visiter le Lieu historique national de la Grosse-Île-et-le-Mémorial-des-Irlandais. Ce bout de terre émergé au milieu du fleuve, à 48 km en aval de Québec, est l’une des 21 îles composant l’archipel de l’Isle-aux-Grues. La plupart de ces îles sont des propriétés privées inaccessibles au public, et seule l’Isle-aux-Grues elle-même est habitée à l’année (130 habitants).
Au départ de Berthier-sur-Mer, sur la rive sud du fleuve, le bateau des Croisières Lachance nous mène en 45 minutes jusqu’à la Grosse-Île, une ancienne station de quarantaine en service de 1832 à 1937. Car il s’agit bien en quelque sorte de l’équivalent au Québec de ce que fut Ellis Island aux États-Unis : c’est là qu’on dût débarquer quelques 4,3 millions d’immigrants, subissant une isolation en attendant de pouvoir terminer leur voyage vers le port de Québec.
Il faut dire qu’en Europe, les épidémies faisaient rage ! Le choléra d’abord (1829-1837), puis le typhus (autour de 1847-48), la variole, et enfin la grippe espagnole ne devaient en aucun cas atteindre le territoire canadien…
Le temps de l’improvisation (1832-1870)
Évidemment, au vu des connaissances médicales de l’époque, le succès de cette station de quarantaine de Grosse-île fut dans un premier temps tout relatif. Alors que la « théorie des miasmes » était en vigueur, présumant que tout bon chrétien était protégé du courroux divin, les malades et les personnes « en santé » étaient mélangées, évidemment sur les navires, mais aussi sur l’île. En fait, la seule séparation qui exista dans la première période ne fut pas entre malades et bien portants, mais entre 1ère, 2ème, et 3ème classe !
Imaginons un instant un malade du choléra dans les années 1830. Débarqué dans un état de déshydratation avancée, le patient subira une saignée pour évacuer ses « mauvaises humeurs ». Cela ne lui épargnera pas une mort certaine en moins de 24 heures…
En 1847, la situation prend une tournure dramatique alors que sévit en Irlande la Grande Famine (le mildiou détruisant une grande partie des cultures de pommes de terres 3 années consécutives). Ce ne sont pas moins de 441 navires qui firent escale à la Grosse-Île cette année là, transportant environ 90 000 immigrants majoritairement irlandais. Déjà en stade avancé de malnutrition au moment du départ, on peine à imaginer leur état après une traversée éprouvante de 6 à 9 semaines sur des navires rarement adaptés au transport de passagers. Ajoutons à cela une épidémie de typhus, maladie transmise par les poux…
Sur les 7 553 sépultures recensées sur la Grosse-Île en 105 années d’activités, on en dénombre 5 424 pour la seule année 1847 !
Le temps de la modernisation (après 1870)
Dans les années 1870, d’importantes découvertes médicales font leur apparition, dont celles d’un certains Louis Pasteur. Sur la Grosse-Île, les études sur la variole amène à la construction d’un lazaret sur la partie est de l’île, les autres installions étant sur la partie ouest. La « chambre rouge » installée dans ce petit hôpital en 1904 permettra de limiter les douleurs et les séquelles (cicatrices) de la variole, une maladie de la peau particulièrement sensible à la lumière.
La visite de la Grosse-Île
Une fois débarqués sur l’île, nous sommes accueillis par les excellentes guides de Parcs Canada : la visite guidée n’est pas obligatoire, mais est incluse dans le droit d’accès. Le « train-promenade » nous conduira d’un bout à l’autre de cette île de 2,8 km de long sur 1km de large, traversant le village du centre, et incluant la visite du Lazaret à l’est et de l’hébergement des passagers de première classe à l’ouest.
Au niveau du débarcadère, la visite du centre de désinfection nous plonge dans l’examen médical de l’arrivée et dans les système de désinfection des vêtements et bagages à la chaleur. À l’étage se trouvent les douches, obligatoires pour tous les passagers : 15 minutes sous un mélange d’eau chaude et de bichlorure de mercure (un désinfectant fort efficace, bien que quelques peu renié par la suite ^^).
Mémorial-aux-Irlandais
À 5 minutes à pied des installations de l’ouest se trouve l’un des cimetières de l’île. À ses côté est dressé depuis 1998 un mémorial semi-circulaire comportant les noms des 7 408 personnes décédées sur les lieux (7 553 sépultures, incluant les passagers morts sur les navires à la fin du voyage) dont 1 545 sont encore inconnues.
C’est un peu plus loin que se dresse une croix celtique, dominant ainsi le fleuve. Érigée en 1909, cette croix celtique comporte 3 plaques. L’une en français et la seconde en anglais, rendent hommage aux victimes de la Grande Famine. Et la troisième ? C’est naturellement en gaélique irlandais qu’elle est rédigée ! Profitant du fort déclin du gaélique et de la large méconnaissance de la langue, elle raconte une version un brin plus amère de l’Histoire quand, rappelons-le, l’Irlande était administrée depuis Londres, où l’interventionnisme politique sur l’économie avait bien mauvaise presse. Jugeons plutôt !
Le texte français raconte de la sorte : À la pieuse mémoire de milliers d’Irlandais qui pour garder la foi souffrirent la faim et l’exil et, victimes du typhus, finirent ici leur douloureux pèlerinage, consolés et fortifiés par le prêtre canadien. « Ceux qui sèment dans les larmes moissoneront dans la joie. » PS. XXV. 5.
Quant au texte en gaélique irlandais, il se traduirait plutôt ainsi : Les enfants des Gaëls moururent par milliers sur cette île, ayant fui les lois de tyrans étrangers et une famine artificielle en 1847-48. Que Dieu les bénisse. Que ce monument soit un gage de leur nom et de leur honneur, de la part des Gaëls d’Amérique. Que Dieu sauve l’Irlande. »
Pour davantage d’informations
Nous avons eu la chance de profiter de la visite de la Grosse-Île mené par une guide de Parcs Canada passionnée d’Irlande. Une visite extrêmement intéressante donc, dont les lectures ci-dessous offrent une piqure de rappel bienvenue des informations fournies.
Incroyable, cette histoire de traduction…Pas tout à fait la même chose !
Sinon, le petit train pour parcourir 2,8 kms…vous faiblissez !